Alice Ardichvili, Sorbonne Universitéparle de son article : Le contexte spatial permet l’évolution du contrôle de la nitrification par les plantes
Il était une fois
Le projet a commencé il y a longtemps, à la fin des années 1990, alors que mon directeur de thèse JC était encore un homme insouciant et enthousiaste. Lui et ses collègues ont observé qu’une graminée commune dans une savane d’Afrique de l’Ouest (Lamto, Côte d’Ivoire) exerce un contrôle particulier sur le cycle de l’azote : elle ralentit fortement la nitrification du sol. La nitrification est la transformation de l’ammonium en nitrate et se produit dans les écosystèmes terrestres et aquatiques sous l’action de micro-organismes qui se nourrissent d’ammonium. Il est intéressant de noter que malgré une forte limitation en azote, cette savane tropicale est très productive, autant qu’une forêt tropicale. En effet, le faible taux de nitrification réduit le lessivage du nitrate, un ion mobile qui se lie facilement aux eaux de ruissellement. Cela rend l’ammonium entièrement disponible pour les plantes. Bref, réduire le taux de nitrification limite les pertes d’azote et booste la productivité des plantes dans cette savane ouest-africaine.
Voici la question que nous avons abordée avec Séb et Nicolas, deux théoriciens, à la Institut d’Ecologie et des Sciences de l’Environnement – Paris. Si l’inhibition de la nitrification est si avantageuse pour les plantes, en leur permettant de s’assurer une source d’ammonium immobile, pourquoi ce mécanisme n’est-il pas répandu parmi les plantes ? La réponse est double. Premièrement, il est possible que de nombreuses espèces végétales (sinon toutes) contrôlent la nitrification, l’accélérant ou la ralentissant en fonction des conditions environnementales, mais à un degré difficile à mesurer sur le terrain (rappelons qu’il a fallu environ une décennie pour isoler les molécules des graminées inhibant la nitrification). Deuxièmement, notre étude montre que les plantes ont besoin de certaines caractéristiques, comme le fait de vivre longtemps et de ne partager que partiellement le sol avec leurs voisins. C’est exactement le cas des graminées Lamto, qui vivent de 50 à 80 ans, poussent en touffes et sont isolées des autres par le sol nu ! Peut-être que la croissance en touffes – une adaptation aux incendies saisonniers – a permis le choix du contrôle de la nitrification. D’autres graminées vivaces qui poussent en touffes sont-elles capables de contrôler la nitrification ? Nous le saurons bientôt grâce à une étude mondiale des graminées de savane suivie par JC.
Implications pour l’agriculture
Dans nos champs, l’azote est source de nombreux tourments. La production industrielle d’engrais est gourmande en énergie et jusqu’à 50 % des engrais appliqués quittent les champs, une partie s’écoulant avec l’eau de pluie et provoquant ensuite une prolifération d’algues dans les systèmes aquatiques. Ces proliférations nuisent à la santé des organismes aquatiques et des humains. Une partie de l’azote retourne dans l’atmosphère sous forme de protoxyde d’azote, un gaz à effet de serre 20 fois plus puissant que le dioxyde de carbone. La plupart des plantes que nous (et notre bétail) mangeons sont des graminées : le maïs, le riz, l’orge ; les agronomes sont donc séduits par les graminées qui contrôlent le cycle de l’azote ! Mais pourrions-nous sélectionner des cultures qui inhibent la nitrification ? Étant donné que le contrôle de la nitrification est également coûteux pour la plante, le contrôle de la nitrification bénéficierait-il à terme à la productivité de nos cultures ? Notre exploration théorique donne matière à réflexion sur ce sujet… A poursuivre avec les travaux de Seb, Amed et Sarah !

